Rédigé par : Samadhi Mora Severino
Samadhi Mora Severino, parent partenaire de recherche et conseillère pour l’équité, la diversité et l’inclusion du Réseau BRILLEnfant, nous fait part de son expérience comme mère vivant avec un trouble bipolaire, qui s’occupe d’un enfant atteint d’une grave paralysie cérébrale et d’un autre aux prises avec un trouble de déficit de l’attention avec hyperactivité (TDAH) et un trouble d’apprentissage. Des histoires comme celles de Samadhi montrent à quel point les troubles font partie intrinsèque de l’expérience humaine et ne diminuent en rien la valeur ou l’influence d’une personne.
Je m’appelle Samadhi. Je suis une immigrante et je vis à Toronto, au Canada. Je suis née au Vénézuéla. Je suis aussi la maman de deux enfants ayant des troubles du développement d’origine cérébrale. Mon fils aîné, Ethan, est âgé de 14 ans et il est atteint d’un TDAH et d’un trouble d’apprentissage, et mon fils cadet, Kian, 12 ans, est atteint d’une grave paralysie cérébrale et d’une déficience intellectuelle. Je m’implique dans le Réseau BRILLEnfant comme parent partenaire de recherche depuis 2016, et plus récemment comme conseillère pour l’équité, la diversité et l’inclusion. Je suis également étudiante au doctorat dans un programme de politiques de santé et d’équité, et je détiens une maîtrise en études critiques sur la situation des personnes handicapées, un diplôme de premier cycle en philosophie (avec spécialisation en bioéthique et en éthique appliquée) et un diplôme de premier cycle en anthropologie (axée sur l’anthropologie médicale [droits des personnes handicapées et santé dans les populations autochtones]).
Je vis également avec un diagnostic de maladie mentale. En 2022, j’ai reçu un diagnostic de trouble bipolaire léger de type 1. Cette maladie fait depuis partie de mon parcours de mère d’enfants ayant des besoins complexes. Vivre avec un diagnostic de maladie mentale tout en élevant des enfants atteints de troubles du développement d’origine cérébrale a été à la fois difficile et stimulant. Cette expérience m’a permis de mieux comprendre la stigmatisation que vivent souvent les personnes aux prises avec des maladies mentales, comme un trouble bipolaire. Elle a également modelé la façon dont je réalise mes activités de défense des intérêts et nourri ma passion pour la création d’espaces plus inclusifs pour les personnes en situation de handicap, celles qui vivent avec un ou plusieurs diagnostics de santé mentale ou les personnes autochtones, noires ou en quête d’équité.
Mes premières fois dans le système de soins de santé mentale
Je suis entrée dans le système de soins de santé mentale pour la première fois en 2020, lorsque j’ai commencé à voir mon incroyable psychiatre. Au Canada, les soins de santé mentale sont complexes et sous-financés (page en anglais seulement), et j’ai connu le système de la Colombie-Britannique et celui de l’Ontario. Je suis extrêmement privilégiée d’avoir accès à un psychiatre, car ce n’est pas tout le monde qui a cette possibilité. Je suis aussi privilégiée parce que mon psychiatre tient compte des traumatismes, il est disposé à apprendre et à désapprendre, et il collabore étroitement avec moi pour veiller à ce que je reçoive les meilleurs soins possible.
En 2022, j’ai reçu un diagnostic de trouble bipolaire léger de type 1, qui est un trouble de l’humeur. Il n’a pas été facile de vivre avec ce trouble. Il y a encore beaucoup de stigmatisation liée à ce type de diagnostic. Avant de recevoir mon diagnostic, je ne savais pas exactement ce qu’était un trouble bipolaire. La première fois que j’ai entendu mon diagnostic, j’ai ressenti de la honte et de l’embarras. Des diagnostics de maladie mentale comme l’anxiété et la dépression sont souvent mieux acceptés par la société, mais l’on démontre moins d’empathie pour d’autres maladies, comme le trouble bipolaire, le trouble de la personnalité limite et la schizophrénie.
Après avoir reçu mon diagnostic, j’ai dû faire le deuil de la personne que j’étais et m’adapter à la personne que j’étais devenue, tout ça en luttant contre ma propre psychophobie intériorisée. (On entend par psychophobie, ou sanisme, les croyances, les gestes ou les politiques discriminatoires qui déshumanisent les personnes ayant reçu des diagnostics de maladie mentale.) Heureusement, j’ai reçu du soutien et de l’amour indéfectibles de ma mère, de mon père et de mes enfants.
Trois ans plus tard, je ne ressens plus de honte lorsque je parle de mon trouble bipolaire. J’ai appris à aimer et à accepter la personne que je suis maintenant avec ce diagnostic. Je repense à tout ce que j’ai accompli : être une maman, une parent partenaire de recherche, une chercheuse en devenir, une conseillère pour l’équité, la diversité et l’inclusion, une amie, une fille, un être humain. Je me rappelle que le fait d’avoir un trouble bipolaire ne me définit pas, que c’est simplement une de mes facettes.
Entrer dans le monde de la parentalité
En 2009, avant la naissance de mon fils Ethan, notre généticien de famille m’avait dit que, ce qui est le plus difficile lorsqu’on élève un enfant en situation de handicap, c’est la façon dont la société perçoit le handicap ainsi que le manque de services gouvernementaux pour aider les familles. L’échographie d’Etan révélait de petits signes d’appel qui laissaient croire qu’il pouvait être né avec des besoins médicaux complexes ou de graves handicaps, mais ce n’était pas le cas. Il a finalement reçu un diagnostic de TDAH et de trouble d’apprentissage.
Je n’oublierai jamais cette conversation avec notre généticien ou la compassion et l’empathie qu’il éprouvait pour nous. Ce sentiment a refait surface quand mon plus jeune fils, Kian, a reçu un diagnostic de paralysie cérébrale grave le 3 mars 2015. Je me souviendrai toujours de cette journée, car elle marquait aussi le retour des résultats du séquençage génétique de l’exome de Kian, qui ont conduit à l’établissement d’un deuxième diagnostic d’ostéopathie striée avec sclérose crânienne, une maladie génétique qui affecte le développement des os. Celle-ci peut également causer des problèmes neurologiques et une perte de l’ouïe.
Avant que Kian naisse, je ne comprenais pas réellement ce que prendre soin d’une personne atteinte de graves handicaps physiques voulait dire. S’occuper d’un enfant ayant de graves handicaps n’est pas la même chose que de s’occuper d’un enfant ayant d’autres handicaps ou n’en ayant aucun. Kian ne peut pas effectuer lui-même ses activités de la vie quotidienne. Il a besoin d’aide pour tout, du bain à l’alimentation, en passant par l’habillement. Il ne peut pas s’asseoir, se tenir debout ou marcher. Il utilise un fauteuil électrique. Il a très souvent recours à des services sociaux et de santé, ce qui donne lieu à un grand nombre de thérapies et de rendez-vous médicaux.
Kian maîtrise très bien la technologie, il est drôle et espiègle, et il a l’esprit aventureux. Il fait preuve d’une immense empathie, dans une mesure que j’ai rarement vue chez les autres. Lorsque j’ai reçu mon diagnostic de trouble bipolaire, j’ai commencé à réfléchir à la stigmatisation à laquelle j’étais confrontée et que j’intériorisais, et à la façon dont les expériences quotidiennes de Kian contrastaient avec les miennes. Je peux masquer mon trouble bipolaire, mais Kian ne peut pas cacher son handicap physique. En même temps, les suppositions que font les gens sur Kian et celles qu’ils font sur le trouble bipolaire sont démoralisantes. En ce sens, nous avons un lien très profond.
Quand je pense à l’avenir de Kian, je me demande comment la société le traitera lorsqu’il prendra de l’âge. L’empathie du public semble drastiquement changer lorsqu’il est question de handicaps. Même si les gens éprouvent souvent plus de compassion pour les enfants, ils peuvent en ressentir moins lorsqu’une personne atteint l’âge adulte.
C’est toujours aux côtés de Kian que je réalise des activités de défense des intérêts dans des milieux médicaux, scolaires et sociaux, en priorisant sa voix et en respectant sa dignité, son autonomie et ses droits, tels qu’ils sont décrits dans la Déclaration des Nations unies sur les droits des personnes handicapées et la Convention relative aux droits des personnes handicapées. Au fil du temps, j’ai dû lâcher prise sur mon approche initiale de parent hélicoptère et permettre à Kian de vivre de manière authentique, comme ce devrait être le cas de tous les enfants. Je me souviens d’un moment pendant une marche pour recueillir des fonds. Kian était seulement âgé de quatre ans et il voulait monter une pente raide avec son fauteuil électrique. Au départ, j’ai hésité, car je ne savais pas si je devais le laisser faire, mais je me suis rapidement rappelé ceci : si Kian était un enfant de quatre ans normal, est-ce que j’hésiterais? Bien sûr que non. Je l’ai donc laissé monter la côte avec son infirmière. Il s’est amusé comme un petit fou et je n’oublierai jamais son sourire ce jour-là.
Lorsque je réfléchis à cette conversation que j’ai eue avec mon généticien en 2009, je comprends maintenant la vérité de ses paroles. Le problème n’a jamais été Kian, le problème était la façon dont le monde le voyait, ou plus exactement, la façon dont il ne le voyait pas. La société, les travaux de recherche, les politiques et les lignes directrices cliniques ne tiennent pas toujours compte de Kian comme moi je le fais et de la façon dont il se voit. Cette prise de conscience a attisé mon désir de participer à des activités de défense des intérêts et de recherche en vue de réclamer des améliorations de l’équité en santé pour Kian et d’autres comme lui au Canada. Elle m’a aussi permis de comprendre l’importance de reconnaître la neurodivergence pour créer de meilleurs systèmes de soutien avec des enfants en situation de handicap et leurs familles.
Nourrir l’amour radical dans la recherche neurodéveloppementale
Dans son livre À propos de l’amour, bell hooks, universitaire et théoricienne critique de la race, indique que pour aimer, il faut six ingrédients : l’attention, l’engagement, la connaissance, la responsabilité, le respect et la confiance. Elle fait valoir que l’amour est essentiel à la justice sociale et que l’amour radical peut toutes et tous nous unir, en reliant des mouvements sociaux et en faisant avancer nos progrès collectifs.
Dans le domaine de la recherche sur les handicaps, l’amour radical, ce peut être la création d’espaces où les personnes peuvent se rassembler, se sentir en sécurité et s’exprimer de façon authentique. L’amour, ce peut être de veiller à ce que nos résultats de recherche pour le public soient rédigés en langage clair, ce qui fait en sorte qu’ils sont faciles à comprendre, concis et accessibles à tout le monde. L’amour, ce peut être de répondre à des demandes de mesures d’adaptation sans jugement, en offrant de l’aide et en témoignant de l’attention. L’amour, ce peut être de s’efforcer de comprendre, plutôt que de laisser libre cours à la stigmatisation associée à un diagnostic de maladie mentale.
Mes différentes expériences vécues ont profondément influencé mon parcours universitaire et professionnel, et elles m’ont amenée à poursuivre des travaux de recherche utiles qui relient mes univers personnel et professionnel. Les travaux de recherche que j’effectue dans le cadre de mon doctorat portent principalement sur les intersections de la race et des handicaps, et examinent précisément les expériences des familles noires, autochtones et racisées dont des membres ont reçu des diagnostics de santé mentale et celles de leurs enfants en situation de handicap dans le système de protection de l’enfance. Guidée par le cadre conceptuel autochtone (en anglais seulement) de Margaret Kovach, professeure autochtone d'ascendance Nêhiyaw et Saulteaux du Traité 4 et membre de la Première Nation Pasqua, je me fonde sur l’épistémologie autochtone, l’éthique, la communauté et le moi de l’expérience dans les relations.
Je crois que les travaux de recherche doivent transformer les communautés qu’ils servent, mais aussi les chercheuses et les chercheurs. Comme Shawn Wilson, qui est une personne crie d'Opaskwayak du nord du Manitoba, l’a si bien dit dans son livre Research is Ceremony : « Si la recherche ne vous change pas comme personne, alors vous l’avez mal faite. » Tous les projets auxquels j’ai participé, que ce soit à titre de partenaire de recherche du Réseau BRILLEnfant ou de chercheuse en devenir, m’ont profondément changée. Ces expériences ont contribué à ce que je défende les intérêts des familles et des jeunes aux prises avec des troubles neurodéveloppementaux et m’ont poussée à réinventer la façon dont les travaux de recherche, les politiques et les pratiques peuvent servir les communautés avec amour radical, empathie et intégrité.
Au centre de mon travail, on trouve mon engagement à l’égard de l’amour radical. J’espère qu’un jour, la société n’aura plus besoin que les personnes en situation de handicap et les personnes ayant reçu des diagnostics de maladie mentale prouvent qu’elles ont de la valeur. Elles seront plutôt acceptées pour leur authenticité et ne se heurteront plus aux obstacles dressés par des recherches, des lignes directrices cliniques, des politiques et des lois discriminatoires.
Appel à l’action
Voici des gestes que nous pouvons toutes et tous poser pour que le monde soit plus inclusif :
Favorisez l’inclusion en aimant véritablement. Gérez les mesures d’adaptation et d’accessibilité en ouvrant votre cœur.
Prenez l’engagement d’apprendre de façon continue. Soyez disposée ou disposé à oublier la désinformation préjudiciable que vous avez apprise et accueillez de nouvelles vérités, même si elles sont parfois déplaisantes.
Évitez les suppositions. Reconnaissez que les diagnostics varient grandement et qu’il n’y a pas d’approche universelle pour comprendre ou aider les personnes.
Assumez votre responsabilité. Reconnaissez vos erreurs, tirez-en des leçons et engagez-vous à évoluer ensemble.
Respectez l’autonomie et la dignité des personnes ayant des diagnostics de santé mentale. Elles peuvent vivre des vies enrichissantes et apporter des contributions variées qui ont un sens dans une société qui respecte leur autonomie et leur dignité, et qui met un terme à la stigmatisation.
Défendez les pratiques antidiscriminatoires. Élaborez des travaux de recherche, des politiques et des lignes directrices cliniques qui placent en leur centre la voix des personnes ayant de l’expérience vécue et qui font activement participer ces personnes.
Je vous invite à réfléchir à la façon dont vous pouvez contribuer à la création d’un monde où l’inclusion, l’équité et l’amour radical ne sont pas des idéaux, mais bien des pratiques quotidiennes. Ensemble, nous pouvons réinventer une société où tout le monde peut vivre de manière authentique et apporter des contributions qui ont un sens.